L’agence ANYOJI BELTRANDO considère simultanément toutes les échelles du projet architectural, urbain et métropolitain. Elle est chargée de la maîtrise d’œuvre urbaine de la Cité Descartes. Yannick Beltrando, son co-fondateur, nous livre ses réflexions sur l’articulation entre hier, aujourd’hui et demain, entre ici, à côté et ailleurs, entre toutes les dimensions de la ville.

Comment construit-on la ville de demain avec ceux qui l'habitent aujourd'hui ?

Cette réflexion fonde notre travail sur la Cité Descartes. Nous avons d’ailleurs intitulé notre réponse à l’appel à candidatures pour la maîtrise d’œuvre « Cultiver le déjà-là et faire ville par les usages ». Si Marne-la-Vallée n’est pas encore une vieille dame, disons qu’elle fait quand même preuve, à 45 ans, de maturité. Il y a des étudiants, des habitants, une multiplicité d’acteurs et des acquis de vie. En même temps, de grands projets vont encore advenir dans les 25 prochaines années : une ville comme Champs-sur-Marne verra quasiment doubler sa population en deux décennies. Si l’on voulait écrire une toute nouvelle page, en gommant l’existant, pour construire une ville idéale qui aplanirait toutes les différences, cela ne donnerait pas une ville très excitante. La ville se construit avec le temps, les bonnes choses prennent corps au bout d’une trentaine d’années. Il faut avant tout travailler le lien entre le déjà-là urbain et le nouveau projet et toujours se dire « ce que je fais rétroagit sur l’existant ».

 

À la Cité Descartes par exemple, on voit des grands édifices, très généreux avec de grands atriums, et une voirie très spacieuse. Cependant le campus n’est pas habité, il n’est actif ni l’été ni les week-ends. De plus, avec Vigipirate, les écoles ne sont plus traversantes et l’on ressent ce lieu surtout comme une juxtaposition de bâtiments où les activités se déroulent de façon exclusivement autonome. Il faut intervenir en transformant mais sans démolir les infrastructures. La gare du Grand Paris Express va agir comme un catalyseur de transformation et la Cité Descartes va occuper une position beaucoup plus stratégique à l’échelle métropolitaine. Le rapprochement universitaire se fera en début d’année 2019 est également un levier. L’Université a mis en place un groupe de travail ainsi qu’un parlement d’étudiants, c’est une très bonne chose. On va vraiment se poser la question de savoir comment on avance ensemble en travaillant la mutation avec les élus et tous les acteurs du territoire.

Sur quels principes conçoit-on la transition de la ville et notamment son articulation à un territoire plus vaste ?

Le projet urbain qui est sur un territoire précis doit interagir à l’échelle plus large, devenir un lieu de destination.

 

La stratégie est simple : s’occuper des centralités locales pour les maintenir. L’optimisation peut se jouer aux petites échelles, il faut avant tout penser les parcours. Il ne faut surtout pas faire les espaces publics à la fin du projet car il s’agit de connecter les espaces publics, pas de construire des chefs d’œuvre isolés.

 

On peut, comme ce qui a été fait sur l’Ile Seguin, préfigurer d’emblée les jardins ce qui permet de planter dès le début les grands sujets. On peut aussi comme nous l’avons fait à Montreuil à la Croix de Chavaux préfigurer avec du frugal, du réversible, du démontable, du réemploi. Cela permet de se tester, avancer, reculer, évaluer. L’équipe projet est essentielle pour bien gérer le tout dans la continuité. C’est le jeu d’acteurs qui permet de mélanger l’innovation à des questions très terre à terre. À Descartes par exemple, la phase de programmation s’étend sur trois mois et prévoit une quarantaine d’entretiens avec les acteurs du territoire. Les jeunes sont ouverts au changement, ils veulent faire du vélo, le territoire est plat, la voirie est généreuse. On pourrait comme à Copenhague ou dans la Ruhr, créer une autoroute à vélos. C’est la voiture qui a généré l’urbanisme sectoriel, le campus peut s’ouvrir sur la ville, avec les habitants, les familles et les salariés. Tout comme les étudiants, ils veulent aussi de l’agriculture urbaine, ils veulent bien manger, et au moins savoir ce qu’ils mangent. Pour retrouver le lien avec la nature il faut restaurer les franges, les lisières, les sous-bois, les plus riches de biodiversité. Le bois de Grâce qui longe la Cité Descartes reste une limite étanche. Elle est pourtant un grand lieu de respiration qui pourrait mener au centre-ville de Champs-sur-Marne. Il faut regarder les territoires pour ce qu’ils sont, comme ils sont. C’est le mode de faire la ville.

Quelles différences entre grande ville et métropole ?

La métropole est par essence cosmopolite et diverse. On sort du village de l’entre soi pour devenir une ville carrefour au croisement du village, de la ville, des pôles d’affaires, des zones d’activités et de logistique. Elle concentre des emplois hyper-qualifiés et des territoires déshérités. La métropole pose la question de comment optimiser chaque chose et pas uniquement sur du long terme. Il faut trouver le bon équilibre, sans parler de rééquilibrage car il s’agit surtout d’articuler les échelles du local et du global. La métropole c’est la diversité plus l’interaction, c’est la possibilité de se déplacer, de changer de milieu. Et cela passe bien sûr par les mobilités douces et les infrastructures de transport en commun efficaces.

 

Faire métropole pose évidemment des questions de gouvernance, c’est assembler des contraires, accepter l’autre. Comme pour les concertations, si le public est suffisamment large, le dialogue se fait et alors l’intérêt métropolitain surgit. C’est une question d’échelle, si l’on fait venir le public en ciblant large, sans mépriser l’intérêt local, on peut aussi bien gérer les différentes temporalités : tout de suite, dans 5 ans, dans 10 ans. La métropole durable impose de partager la ressource, de privilégier la frugalité. Il convient de se poser la question de ne pas tout démolir, ne pas tout aménager, ne pas tout tirer au cordeau. À chaque échelle de densité correspondent des aménités urbaines.

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