Aménager, c’est esquisser l’avenir du cadre de vie des citoyens en tenant compte de l’évolution des modes de vie et de l’émergence de nouveaux besoins. Développer l’alimentation locale, promouvoir des modèles de production davantage connectés aux villes et aux marchés locaux font partie de ces enjeux pour lesquels EpaMarne-EpaFrance se mobilisent. L’objectif ? Concilier de manière pérenne et raisonnée le développement des villes et celui de l’agriculture urbaine et périurbaine.

Laurent Girometti, directeur général d’EpaMarne-EpaFrance nous en dit plus sur l’engagement et le déploiement d’une stratégie ambitieuse de relocalisation de l’activité agricole sur le périmètre d’intervention. Tandis que Christine Aubry, ingénieure agronome et fondatrice de l’équipe de recherche Agricultures Urbaines d’AgroParisTech, apporte un éclairage expert et complémentaire sur la place de cette activité dans le développement territorial et les systèmes alimentaires urbains.

Tout d’abord, quelles sont pour vous les différences entre l’agriculture urbaine et périurbaine ?

Christine Aubry. L’agriculture urbaine, ou plutôt les agricultures urbaines, sont des formes d’agriculture qui se développent dans les villes ou à proximité immédiate de celles-ci. Mais le critère géographique ne suffit pas. Elles doivent en plus entretenir des liens avec la ville, à travers l’approvisionnement alimentaire par exemple. C’est pourquoi, en Île-de-France, les grandes exploitations céréalières qui produisent beaucoup pour l’exportation et non pour le marché francilien sont certes périurbaines mais ne relèvent pas de cette catégorie d’agriculture urbaine. La notion de circuit-court est prépondérante dans les projets d’agriculture urbaine, où le collaboratif et le pédagogique l’emportent sur une finalité productiviste. Leur forme est également très variable : des fermes maraîchères et avicoles périurbaines de quelques hectares aux champignonnières qui investissent d’anciens parkings en sous-sol, en passant par les micro-fermes et jardins collectifs, dont la gestion peut être professionnelle ou non. Laurent Girometti. Effectivement, l’agriculture urbaine se développe surtout dans les interstices de la ville. Elle investit, sur des surfaces réduites et sous des formes variées, des bâtiments et espaces existants où son implantation n’avait pas été forcément prévue dès l’origine. A l’inverse, l’agriculture périurbaine a toujours existé dans le voisinage des villes. Elle se déploie en pleine terre, sur un territoire moins dense et des parcelles de plusieurs hectares. L’agriculture périurbaine se rapproche d’une activité économique agricole classique tout en s’en distinguant en interagissant directement avec le tissu urbain environnant. C’est d’ailleurs la question qui se pose aujourd’hui sur le périmètre d’invention d’EpaMarne – EpaFrance : comment renforcer ces interactions et faire en sorte que l’agriculture entre davantage en synergie avec les développements urbains ?

Justement, comment mieux concilier le développement de l’agriculture urbaine et celui des villes ?

Christine Aubry. Vaste question. Tout d’abord, il faut avoir en tête que l’agriculture urbaine est un phénomène récent qui n’a encore fait l’objet d’aucun recensement exhaustif à l’échelle nationale. On sait en revanche que l’Ile-de-France, qui est le territoire sur lequel je travaille depuis dix ans, se distingue par son dynamisme en la matière. D’après les estimations, 300 à 350 exploitations et sites d’agriculture urbaine seraient ainsi présents au sein des villes, sans compter les jardins associatifs dont le nombre s’élève à près de 1300 d’après l’Institut Paris-Région. Et ces estimations vont croissantes. Des appels à projets comme celui des Parisculteurs ont donné envie à d’autres villes de s’investir dans des projets d’agriculture urbaine et périurbaine. En 2016, la métropole européenne de Lille a par exemple acheté près de 40 hectares pour accueillir des fermes périurbaines maraîchères tandis qu’en Île-de-France, de nombreuses collectivités s’impliquent pour récréer des circuits courts destinés à la restauration collective ou aux marchés de producteurs locaux. Laurent Girometti. L’action des collectivités est en effet essentielle pour promouvoir l’agriculture urbaine et périurbaine. En tant qu’aménageur, le rôle d’EpaMarne-EpaFrance est aussi de favoriser la transition agricole et alimentaire sur notre territoire d’intervention en soutenant le déploiement de projets ancrés dans la vie locale. Pour cela, nous avons identifié plus de 150 hectares susceptibles d’accueillir des activités agricoles. Nous échangeons en parallèle avec des agriculteurs tout en mobilisant des dispositifs d’aide, comme ceux du plan France Relance, pour faciliter leur installation. A Bussy-Saint-Georges, Bussy-Saint-Martin et Saint-Thibault-des-Vignes, la vocation agricole de ce secteur a par exemple été conservée à travers un projet d’agriculture biologique pour lequel nous avons conclu un bail rural qui intègre des clauses environnementales. Et nous œuvrons aussi avec la communauté d’agglomération Paris – Val de Marne pour monter un projet de parc agricole à Torcy. En résumé, nous identifions du foncier disponible, nous soutenons des actions locales et nous créons des opportunités qui ne relèvent donc pas d’un modèle de planification agricole intégrale. Nous assumons ainsi un rôle de facilitateur, d’intégrateur et de fédérateur en faisant correspondre une politique nationale de soutien à l’agriculture urbaine avec des moyens et des projets locaux.

Selon vous, à quels enjeux répondent le développement de l’agriculture urbaine et périurbaine ?

Christine Aubry. Il y a avant tout un enjeu d’équilibre à trouver entre un urbanisme qui se veut plus dense et, en même temps, une réduction locale de la densité foncière qui permet de ménager des espaces pour le développement de l’agriculture urbaine. L’implantation de projets intra-urbains ou en périphérie des villes répond à son tour à des enjeux d’ordre économique, social et environnemental. La crise sanitaire a notamment mis en évidence l’importance de l’agriculture urbaine pour créer une alimentation de proximité, ainsi que sa fonction sociale et pédagogique. Les bailleurs sociaux s’y intéressent de près, avec plus de 500 projets dénombrés en France dans des quartiers prioritaires ou en cours de rénovation. Dans le périurbain, l’installation agricole est davantage favorisée par la mise à disposition de foncier et la contractualisation avec des agriculteurs. Ce qui implique, bien souvent, de nouvelles façons de produire plus respectueuses de l’environnement. Enfin, sur le volet environnemental, l’agriculture périurbaine présente aussi de nombreux atouts. Elle a un impact considérable sur la biodiversité, participe à la régulation thermique et contribue à réduire les risques d’inondation. C’est le cas en Île-de-France, où les projections climatiques montrent que l’intensité des pluies va augmenter en termes de fréquence et de violence. D’où l’importance de conserver des sols perméables en amont et en aval des villes, ce qui nécessite une politique d’aménagement fine du territoire avec la création de zones tampon. Laurent Girometti. Comme Christine Aubry, je trouve que l’agriculture urbaine a un intérêt plus social qu’économique. Les projets périurbains sont notamment l’occasion pour les habitants du territoire de retrouver un lien plus fort avec l’agriculture à l’occasion d’une activité associative ou d’une sortie scolaire par exemple. Et il y a aussi, bien sûr, la satisfaction de consommer un produit local, dont on connaît la provenance. La question du modèle économique est également prépondérante car l’agriculteur qui réussit est bien souvent un entrepreneur, qui connaît bien son métier. En tant qu’aménageur, on peut donner un coup de pouce, mobiliser des acteurs locaux et trouver des financements mais s’il n’y a pas derrière de projet économique viable, difficile de pérenniser cette activité. En cela, le bail rural permet de donner de la visibilité sur plusieurs années aux agriculteurs qui doivent amortir leurs investissements. Et puis il y a bien sûr un enjeu écologique. En mettant à disposition des terrains pour un usage agricole, on promeut des projets respectueux de l’environnement tout en s’inscrivant complètement dans l’objectif du Zéro artificialisation nette. A Montévrain, le projet de la ZAC a par exemple été resserré pour libérer plusieurs hectares de foncier et y développer une activité de maraîchage biologique. C’est un bon exemple d’équilibre raisonné entre développement agricole et urbain, avec l’idée de compensation entre les deux. On urbanise certes une partie du territoire mais dans le même temps on met à disposition de la filière agricole des terrains et des moyens pour développer des projets de maraîchage, d’élevage et de transformation alimentaire.

Comment créer des ponts entre aménageurs, collectivités, acteurs du monde agricole et spécialistes de la biodiversité pour déployer de manière pérenne l’agriculture urbaine et périurbaine à l’échelle d’un territoire ?

Laurent Girometti. Les attentes sociétales sont fortes et du côté des collectivités, l’envie de faire est réelle. Pour EpaMarne-EpaFrance, ces attentes viennent aussi questionner la manière dont nous concevons, développons et organisons une ville. Or, à la base, le rôle des collectivités ce n’est pas de faire de l’agriculture. Nous cherchons donc à concilier des projets urbains avec le maintien d’une activité agricole à travers par exemple le mécanisme de compensation que j’ai déjà mentionné. Notre rôle est surtout de trouver des solutions et des ressources en dialoguant avec toutes les parties prenantes. Pour la filière agricole, nos interlocuteurs sont par exemple la FDSEA, la chambre d’agriculture d’Île-de-France ou encore la SAFER. Tous sont conscients des attentes sociétales et des évolutions de pratiques qu’elles impliquent, d’où leur volonté de faire aboutir des projets qui en tiennent compte avec nous. Christine Aubry. Ce dialogue entre parties prenantes est tout à fait essentiel. Quand il est porté par un établissement public d’aménagement, cela favorise les échanges entre les différents acteurs, car sa taille et son périmètre d’intervention ne sont ni trop petits ni trop grands. Pour les collectivités, qui ne sont pas spécialistes du sujet, l’INRAE et AgroParisTech Innovation ont également publié le guide méthodologique METH’EXPAU® afin de les aider à identifier les formes d’agriculture urbaine correspondant à leurs envies et aux caractéristiques de leur territoire. Il s’agit d’une méthodologie de concertation et de diagnostic territorial qui favorise le dialogue entre élus, habitants, associations et services techniques, notamment ceux qui seront chargés de l’entretien de ces espaces dans les villes. Ce type de méthode permet de saisir les enjeux dans leur globalité tout en impliquant davantage le monde agricole.

L’agriculture urbaine et périurbaine fait donc partie intégrante du renouvellement des villes en répondant à la fois à des attentes sociales, environnementales et économiques. Un projet d’urbanisme qui ignorerait ces enjeux serait aujourd’hui voué à l’échec. Pour que cette activité se développe de manière raisonnée et pérenne, EpaMarne déploie une stratégie volontariste, ambitieuse et audacieuse afin d’accélérer la transition agroécologique et de créer un projet agricole structurant à l’échelle de ses territoires d’intervention.

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